L’homme qui répare les femmes

Vendredi 11 mars 19h30 Paris. Devant le petit cinéma Escurial du 13e arrondissement, une foule disciplinée s’est formée en rang. Une rangée où toutes les origines et tous les âges se confondent. La tension est palpable: « c’est bien la file pour ceux qui ont une place »?

Tous ces gens réunis ne patientent pas pour voir le dernier blockbuster. Nous sommes là piaffant d’une impatience teintée d’appréhension pour rencontrer le docteur Denis Mukegwe « l’homme qui répare les femmes ». L’oeuvre de cet homme est telle que je ne devrais même pas avoir à le présenter et pourtant…

Né en 1955 au Sud-Kivu une province de la République Démocratique du Congo, ce gynécologue obstétricien milite depuis de nombreuses années contre les violences faites aux femmes notamment les mutilations génitales et le recours au viol comme arme de guerre dont elles sont les premières victimes. En 1999, après la Première guerre du Congo et alors que l’hôpital où il officiait en tant que gynécologue est détruit,  il fonde l’hôpital Panzi dans la ville de Bukavu, capitale du Sud-Kivu. Entre 1999 et 2015 l’Hôpital a pris en charge près de 50 000 survivantes de violences sexuelles et 40 000 femmes avec des pathologies gynécologiques. Le Docteur Mukwege a reçu de nombreux prix et récompenses pour son engagement (prix des Droits de l’homme de l’ONU, prix de la Fondation Clinton,…). En 2014 il reçoit le prix Sakharov puis en 2016 le prix Héros pour l’Afrique tous deux décernés par Parlement européen. En 2016 sort son documentaire «L’Homme qui répare les femmes :  La colère d’Hippocrate » qui retrace son parcours et son combat pour et auprès des femmes. A sa sortie il sera interdit en RDC. C’est la raison de notre présence ce soir là.

Un peu en retard sur le programme nous entrons finalement dans la salle. Une salle dont les dorures et les portraits Harcourt promettent le visionnage d’une jolie histoire. Rien ne nous prépare alors à l’horreur que nous allons découvrir.

L’horreur c’est des femmes assassinées elles et leurs enfants, des femmes violées et mutilées. Des mutilations qui visent strictement leur appareil génital (projection d’acide, introduction d’armes et d’objets contondant) les laissant avec un traumatisme et des lésions qu’elles garderont à vie. Ces agressions dépassent le simple cadre du viol et ont pour objectif de semer la terreur au sein de la population. Il s’agit d’une véritable stratégie de guerre. Face à cette injustice et contre cette barbarie qui touche encore et toujours les femmes, une figure émerge, celle du Docteur Denis Mukwege qui décide de faire de la prise en charge de ces femmes, sa mission. Dans son hôpital Panzi il les aide à se reconstruire moralement et physiquement.

La force du docteur Mukegwe c’est son courage et sa foi communicative. Une force renouvelée sans cesse par celles qu’il répare depuis de longues années déjà. Son combat semble vain, car il s’attaque à des forces qui le dépassent : le conflit au Nord Kivu n’est pas un conflit inter ethnique, étatique, ni même religieux. C’est un conflit d’ordre économique qui a déjà fait des millions de morts. En cause, le coltan ce minerai rare et précieux dont la région détiendrait entre 60% et 80% des ressources mondiales, utilisé dans l’industrie aérospatiale et qu’on retrouve également dans le matériel informatique, plus précisément dans nos smartphones.

Nous sommes donc tous responsables de la tragédie en cours dans cette région. Des rencontres comme celles-ci dépassent le simple cadre de l’échange ou de la transmission. C’est aussi à nous qui avons été présents et avons entendu son discours d’en être les relais. De porter sa voix et de diffuser son message de paix.

Ovation après ovation les questions fusent et le professeur toujours égal à lui même distille ses conseils. L’émotion est palpable. Dans chaque prise de parole on sent une grande admiration et un profond respect pour cet homme qui agit au péril de sa vie. En effet, le docteur Mukwege et sa famille vivent sous protection policière et il est régulièrement menacé. En 2012, il a été victime d’une tentative d’assassinat. En 2016 un de ses proches, le docteur Gildo Byamungu, était sauvagement assassiné à son domicile. Ce mois-ci c’est un membre du gouvernement de la RDC qui s’attaquait à lui, propos formellement condamnés par Heidi Hautala et Pier Antonio Panzeri, vice-présidente et président de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen :

« Nous avons appris avec consternation les menaces inacceptables proférées par un membre du gouvernement de la République démocratique du Congo à l’encontre du Dr Denis Mukwege. Nous appelons les acteurs de la vie politique congolaise à faire preuve de la plus grande responsabilité et de s’abstenir de tout propos pouvant être assimilé à une incitation à la violence et la haine. » 

© Parlement européen

La rencontre se termine sur un docteur arguant la jeunesse congolaise à prendre son destin entre ses mains. A l’image d’Alphonsine qui après avoir subit des sévices d’une violence sans nom a repris goût à la vie et a surtout une volonté d’avancer et de mener la vie qu’elle entend et qu’elle mérite. Les derniers mots du Docteur Mukegwe font écho à une diaspora africaine aujourd’hui à la croisée des chemins. À l’heure où plusieurs élections se profilent sur le continent, il est plus que jamais l’occasion de se poser les bonnes questions et d’agir en pleine conscience.

Pour soutenir l’action du Docteur Mukwege vous pouvez faire un don via ce lien.

L’association We Are Not Weapon of War œuvre également pour toutes les femmes victimes de violences de guerre à travers le monde. Plus d’informations ici.

© Crédit photo : Instagram DrDenisMukwege 

JAY

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